Etude de cas: l’affaire Bankia, un scandale de corruption

« L’une des plus grandes forces de cette campagne était qu’elle n’était pas centrée sur une seule identité. Elle a été construite autour d’un dispositif citoyen, grâce auquel la victoire appartiendrait aussi aux citoyens ». — Emma Avilés Thurlow

Contexte

Dans l’une des affaires les plus médiatisées d’Espagne, un groupe d’activistes a obtenu l’emprisonnement de Rodrigo Rato, l’ex-ministre de l’économie, l’ex-Président de Bankia et ancien Premier ministre espagnol en devenir, pour corruption. A ses côtés, 64 autres banquiers et hommes politiques ont également été condamnés à des peines de prison plus ou moins longues.

Ces condamnations sont le résultat d’un procès initié par du collectif anonyme 15MpaRato contre les dirigeants de la Caja Madrid, la plus ancienne banque d’Espagne, qui forme aujourd’hui la Bankia à la suite d’une fusion avec six autres établissements bancaires. Le procès a mis en lumière la manière dont des banquiers corrompus ont escroqué plus de deux milliards de dollars à trois cent mille petits investisseurs par la falsification, la manipulation de documents et la publicité mensongère.

Au cours de la procédure, communément appelée « affaire Bankia », de nombreux autres éléments de preuve importants ont fait surface grâce aux outils numériques collaboratifs créés par la plate-forme militante de 15MpaRato, XNet. Au centre de ces éléments, 8000 courriels de l’ancien président de Caja Madrid, Miguel Blesa ont émergé, et mis en lumière plusieurs malversations et fraudes fiscales de banquiers et d’hommes politiques à hauteur de plus de 15,5 millions d’euros. Par conséquent, en 2017, la Haute Cour d’Espagne a condamné à des peines de prison variables Rato, 64 autres cadres exécutifs, ainsi que des politiciens de différents partis politiques. Dans une décision sans précédent, tous les investisseurs ont pu récupérer l’argent qu’ils avaient perdu dans cette escroquerie.

Éléments clefs

Nom : Sala de lo Penal N °4/2017

Tribunal : Cour suprême d’Espagne

Date de décision : 23 février 2017

Numéro de l’affaire : 59/2012, Juzgado Central de Instrucción n.º 4 en la Audiencia Nacional

Jugement : PDF

Sujet : La Haute Cour d’Espagne a jugé que 65 cadres de Bankia, une grande banque espagnole et des membres de divers partis politiques étaient responsables de fraude et d’erreurs administratives,  et leur a infligé des peines d’emprisonnement variables.

Intervenants interviewés

Simona Levi | Foundatrice de XNet

Maddalena Falzoni | Foundatrice de MaadiX

Emma Avilés Thurlow | Chargée de Medias et stratégie pour l’Observatoire de la Dette dans Globalisation

Ruben Sáez | Scientifique

Les faits

Formation de 15MpaRato

En 2008, l’Espagne a été frappée par une crise financière majeure ayant entraîné une récession, un chômage massif et l’effondrement du marché immobilier espagnol. Les effets de cette crise se sont fait ressentir pendant de nombreuses années, les grandes entreprises étant confrontées à la faillite et le chômage atteignant un taux record de 32 %. Les effets dévastateurs de la crise financière ont conduit à des manifestations massives en 2011. Ces manifestations ont été organisées pour la première fois le 15 mai et ont ensuite été connues sous le nom de 15M ou mouvement des Indignados. Ce mouvement a rassemblé les Espagnols sur les places des villes et des villages au travers de l’Espagne afin d’exprimer leur méfiance à l’égard du gouvernement et de sa gestion de la crise financière.

Le 15MpaRato a été créé en mai 2012, à l’occasion du premier anniversaire du 15M. Le groupe était dirigé par XNet, une organisation militante à but non lucratif. Son objectif était de mettre fin à l’impunité économique et politique. L’affaire Bankia a été le premier procès lancé par 15MpaRato, avec le soutien de XNet, pour faire avancer cette cause.

Le nom 15MpaRato est en soi un jeu de mots d’esprit  dans lequel 15M représente le mouvement des Indignados et Rato a une double signification : Rato est à la fois le nom de famille de Rodrigo Rato, et signifie en espagnol « pendant un certain temps ». Ainsi, le nom de Rato fait clairement ressortir les deux intentions de la campagne. Premièrement, le mouvement 15M s’en prend à Rato et d’autres individus agissant comme lui, et deuxièmement, le mouvement 15M, qui remettait en question le pouvoir en place, est là pour durer.

Les faits ayant conduit au procès

En 2010, Rodrigo Rato a rejoint la Caja Madrid en tant que président. Avant cela, il a occupé de nombreux autres postes de haut niveau, dont ceux de directeur du Fonds monétaire international, de ministre de l’économie et de vice-président de l’un des principaux partis politiques espagnols, le Parti populaire. Il était alors pressenti comme futur Premier ministre de l’Espagne. À la Caja Madrid, il a succédé à Miquel Blesa, qui avait occupé ce poste pendant 13 ans.

Peu après l’arrivée de Rato, la Caja Madrid est devenue la plus grande des sept banques régionales qui se sont regroupées pour former la « Bankia ». Par la suite, Rato est devenu le président de la Bankia. En 2011, la Bankia est entrée en bourse et a procédé à une introduction en bourse (« IPO »). Plus de 300 000 actionnaires ont investi dans Bankia pour 3,75 euros par action, permettant au conglomérat de lever 3,2 milliards d’euros.

En mai 2012, Rato annoncait que Bankia avait enregistré des bénéfices de plus de 300 millions d’euros. Peu de temps après avoir fait cette déclaration, Rato a démissionné de son poste sur fond de rumeurs concernant l’insolvabilité de Bankia et, en juin 2012, José Ignacio Gorigolzarri a pris la relève en tant que nouveau président de Bankia.

En novembre 2012, dans les sept mois suivant l’annonce de Rato sur ses taux de profit, Bankia a annoncé qu’elle subissait une perte de 14 milliards d’euros et qu’elle avait besoin d’un renflouement d’urgence. Le cours des actions s’est effondré pour atteindre un des plus bas historique de 0,01 euro. La Bankia était considérée comme la clé du secteur bancaire du pays, puisqu’elle était la quatrième banque d’Espagne et qu’elle détenait dix pour cent du total des dépôts bancaires des citoyens espagnols. Pour éviter un effondrement de l’ensemble du secteur bancaire, le gouvernement est intervenu et a renfloué Bankia en la nationalisant partiellement. Les 19 milliards d’euros levés pour le sauvetage faisaient partie d’une dette plus importante que l’Espagne avait acquise auprès de l’Union européenne.

XNet a analysé le plan de sauvetage et a réalisé qu’un septième de la somme était utilisé pour sauver Bankia, une banque qui réalisait des bénéfices de plus de 300 millions d’euros seulement sept mois avant. Dommage collatéral, les 300 000 actionnaires de Bankia – pour la plupart des chômeurs, des personnes âgées et des familles – ont collectivement perdu plus de deux milliards d’euros en raison de la chute soudaine de la banque. Il était clair pour les militants que le besoin soudain d’un renflouement de 19 milliards d’euros de la part du gouvernement et la chute brutale du cours des actions étaient extrêmement improbables, à moins qu’il n’y ait eu une mauvaise administration et une fausse déclaration de la part de l’exécutif qui dirige la Bankia. Cela a conduit à la formation de 15MpaRato et au lancement du premier procès.

Même si la campagne n’était pas spécifiquement dirigée contre un banquier en particulier, Rato en est devenu le symbole. Cela était dû aux différents postes qu’il avait successivement occupés au sein du gouvernement et du secteur bancaire au cours des dernières décennies, représentant ainsi la culture de porte tournante de l’établissement – où les employés de haut niveau peuvent facilement passer d’un emploi du secteur public à un autre du secteur privé en faisant jouer leurs relations personnelles.

En mai 2012, 15MpaRato a lancé une campagne visant à recueillir auprès des citoyens toute information susceptible de contribuer à la responsabilisation de M. Rato. En deux semaines, des centaines de personnes ont envoyé anonymement des informations susceptibles de tenir Rato pour responsable d’une fraude financière.

Les preuves recueillies ont montré sans équivoque que les informations fournies au public sur la situation financière de Bankia au moment de l’introduction en bourse étaient fausses et trompeuses. Cela a conduit au lancement du premier procès contre l’administration de Bankia. Au cours de l’année suivante, les preuves recueillies ont permis d’engager deux autres procédures contre les banquiers portant sur l’escroquerie aux actions privilégiées et le scandale des « cartes au noir »

Le premier procès : L’escroquerie de l’introduction en bourse

En juin 2012, 15MpaRato a intenté une action en justice devant la Haute Cour d’Espagne contre Rato et 32 autres banquiers, au nom de 14 actionnaires lésés. Cette action directe a été possible car le système judiciaire espagnol permet aux victimes de participer à un procès. 15MpaRato représentait les victimes, dont le nombre est passé à 44. Les principales allégations formulées dans le cadre du procès concernaient la négligence administrative, la désinformation financière, la fraude et la falsification. Le procès, mené par le procureur au nom des plaignants, visait à récupérer l’argent perdu par les actionnaires et à obtenir des condamnations à l’emprisonnement des banquiers.

Afin de permettre la collecte sécurisée et anonyme de preuves, XNet a créé en 2013 un outil numérique appelé XNet Leaks. Cet outil s’inspire de Wikileaks, par lequel tout citoyen peut soumettre anonymement des informations sur la corruption systémique. Les informations transmises par l’intermédiaire de XNet Leaks ont conduit à certaines révélations majeures dans l’affaire Bankia, comme le scandale des « cartes au noir » et les courriels de Blesa. Ces révélations ont fait la lumière sur la corruption systématique des secteurs bancaire et politique, conduisant à deux autres procès.

Le second procès : L’arnaque des actions privilégiées

La deuxième action en justice, intentée en 2013, était fondée sur des preuves fournies par les propres employés de Bankia par l’intermédiaire de XNet Leaks. Il s’agissait d’un document interne intitulé « Argumentaire de vente pour la vente d’actions privilégiées » et démontrait que 98 % des actions vendues aux petits épargnants et aux familles étaient des actions complexes et à haut risque. Il était clair pour 15MpaRato que ces produits financiers n’étaient pas mis sur le marché public, mais étaient vendus uniquement à des cibles spécifiques et fragiles. Selon la documentation, il était demandé aux employés de faire croire aux actionnaires que les actions qui leur étaient vendues étaient des actions de sécurité à revenu fixe, moins complexe et plus sûr que les actions réellement vendues.

Dans le document ayant fuité, les employés étaient encouragés à vendre ces actions privilégiées à de petits épargnants et à des familles aux connaissances financières limitées. Sur chaque page de l’argumentaire de vente figurait la note suivante : « Cette information ne doit pas être partagée avec les clients ». Sur la base de ces preuves, 15MpaRato a intenté un autre procès contre l’administration de Bankia, alléguant la désinformation financière et la fraude criminelle. Nonobstant, faute de preuves concluantes, le tribunal n’a pu attribuer la culpabilité à aucune des parties et a en conséquence clos l’affaire.

Le troisième procès : Le scandale des « cartes au noir »

En décembre 2013, Xnet Leaks a reçu une soumission anonyme contenant plus de 8 000 échanges de courriels provenant du compte de Blesa, l’ancien président de Caja Madrid. Ces échanges contenaient des détails sur la façon dont les dirigeants de la banque et d’autres personnes politiques influentes avaient accès à une carte de crédit Visa Black, laquelle avait été payée grâce au compte d’épargne de Bankia. Ainsi, non seulement les fonds de la Bankia étaient utilisés pour des dépenses personnelles allant jusqu’à 50 000 euros par mois, mais toutes ces dépenses étaient également effectuées à l’insu des services fiscaux. Ces faits ont conduit à une fraude fiscale de plus de 15,5 millions d’euros. Le contenu des courriels de Blesa étaient représentatifs de l’administration corrompue de la Caja Madrid.

En raison de la complexité et de l’ampleur du scandale des « cartes au noir », le magistrat instructeur et le procureur chargé de l’affaire, le juge Andreu, ont ouvert en 2016 un procès annexe contre 65 banquiers et hommes politiques, accusés de détournement de fonds et de fraude fiscale. Rato et Blesa ont versé une caution sur leur biens personnels à hauteur de 19 millions d’euros.

Résultats

En février 2017, la Haute Cour espagnole a condamné Rato à quatre ans et demi de prison et Blesa à six ans de prison pour détournement de fonds dans le cadre du scandale des « cartes au noir ». 63 autres banquiers et hommes politiques ont également été condamnées à des peines de prison pour des durées variables. Rato a fait appel du jugement et en octobre 2018, la Cour suprême a confirmé sa condamnation.

Le premier procès intenté par 15MpaRato contre les dirigeants de Bankia pour escroquerie lors de l’introduction en bourse, des allégations de fraude, de falsification et de malversations administratives est toujours en cours devant la Haute Cour d’Espagne. Toutefois, en février 2016, dans un jugement distinct, la Cour suprême a ordonné à Bankia de restituer l’argent à deux clients dont il a été établi qu’ils avaient été intentionnellement trompés. Pour éviter le coût juridique potentiel de plus de 400 millions d’euros dans l’éventualité où tous les actionnaires lésés intentaient une action en justice, Bankia a annoncé qu’elle rembourserait l’argent perdu par ses actionnaires, soit un montant de plus de deux milliards d’euros, plus quatre pour cent d’intérêts.

Collaboration

Dans cette affaire, la collameboration la plus importante s’est construite entre le 15MpaRato et l’ensemble des citoyens. Dès lors que 15MpaRato demandait au public de leur partager toute information susceptible de l’aider mettre en prison Rato, le narratif du mouvement était clair : il s’agissait d’un mouvement par le peuple et pour le peuple.

Le mouvement 15MpaRato a commencé par un message anonyme sur Internet: « Nous serons des catalyseurs. D’innombrables petits groupes d’opération pour libérer des espaces de vie… Nous ne sommes pas un, nous ne sommes pas dix, nous ne sommes pas mille ou un million. Nous sommes innombrables et nous sommes partout, car nous sommes les habitants du monde. Le changement est inéluctable, le changement a déjà eu lieu…. Nous avons le pouvoir de la multitude organisée en catalyseurs connectés et inexprimables. Avec ceci – Allons chercher les banquiers ».

15MpaRato a élaboré un plan quinquennal pour emprisonner Rato. La première des trois étapes de ce plan était de s’assurer que Rato ne soit plus considéré comme le futur leader de l’Espagne. Comme le mentionne Simona Levi, fondatrice de XNet et de 15MpaRato, « délégitimer Rato était notre premier objectif car dans des pays corrompus comme l’Espagne, on ne peut pas avoir un tribunal qui s’en prend au futur Premier ministre ». La deuxième étape du plan consistait à faire en sorte que les citoyens espagnols se rendent compte de l’ampleur de la mauvaise administration de Bankia, et condamnent Rato pour cela. Cela a été fait en sensibilisant la communauté à la fraude commise, et en intentant un procès contre lui et les complices de ses crimes, ses collègues. La troisième étape a été l’emprisonnement de Rato.

En mai 2012, la première étape du plan a été lancée, sollicitant les citoyens de soumettre toute information incriminante qui pourrait potentiellement contribuer à l’emprisonnement de Rato. En l’espace de deux semaines, les preuves que 15MpaRato avait prévu de mettre un an à recueillir ont été rassemblées.

L’obstacle suivant a été de surmonter la charge financière pour l’ouverture du dossier. 15MpaRato y a vu l’opportunité d’engager la première campagne de financement participatif politique en Espagne. Emma Avilés Thurlow, une activiste et membre du 15MpaRato, a rappelé que « la colère et la rébellion des gens dues au mouvement 15M nous ont aidés à activer l’enthousiasme des citoyens pour le 15MpaRato ». C’est peut-être la raison pour laquelle plus de 11 000 personnes ont essayé de faire des donations dès la première heure de mise en ligne de la plateforme, ce qui a entraîné l’arrêt du système. 15MpaRato a également créé un outil numérique permettant un financement participatif sécurisé à l’avenir.

L’organisation a publié sur son site web les comptes de dépenses de l’argent rassemblé par la plateforme. Cela a créé un climat de confiance et de transparence entre le public et 15MpaRato, ainsi qu’un moyen efficace de réfuter les allégations de blanchiment d’argent souvent formulées par les membres de la presse à l’encontre de 15MpaRato.

Depuis le premier procès en juin 2012, la campagne a été menée sur deux fronts : interne et externe. Le groupe interne s’est concentré sur l’élaboration de la stratégie globale et le groupe externe, composé des citoyens qui faisaient partie des plateformes numériques, s’est chargé de faire avancer la campagne.

Le groupe interne consistait d’un noyau de 20 militants dirigé par Levi. Levi a décrit le groupe interne comme un « groupe de guérilla agile, où chacun était conscient de son rôle dans le plan ».  Ruben Sáez, un scientifique de profession, faisait partie du groupe interne. Il se rappelle comment chaque membre du groupe a utilisé son talent pour aider à atteindre l’objectif de la campagne. « Maddalena Falzoni a utilisé son expertise en matière de technologie pour créer et maintenir les outils techniques de la campagne. Emma Avilés Thurlow était chargée de la mise en réseau et de la sensibilisation. Sergio Salgado, un expert en communication et en réseau, écrivait sur le blog de 15MpaRato pour communiquer le sentiment d’autonomisation des citoyens. Pau López, un graphiste, a aidé à la conception des mèmes et des images ».

Le groupe interne de la campagne a conservé son anonymat pendant la majeure partie de la campagne, n’utilisant que son nom collectif, 15MpaRato. Et ce, pour trois raisons. Tout d’abord, ils ne voulaient pas que le gouvernement identifie et persécute ses membres individuels. Deuxièmement, ils ne voulaient pas que le gouvernement puisse évaluer le nombre de personnes impliquées dans le mouvement. Comme le mentionne Levi, « Nous ne voulions pas que le pouvoir en place sache si nous étions un ou mille. Enfin, comme le groupe était composé en majorité de femmes et de membres LGBTQ, selon les termes de Levi, « nous ne pouvions pas nous montrer en public car alors, nous n’aurions peut-être pas été pris au sérieux ». Cependant, à la suite de la révélation de leur nom par certains membres du groupe voulant  s’attribuer le mérite du mouvement dans les procès en cours, le groupe tout entier a fini par communiquer son nom à la presse.

Le groupe externe, qui comprenait l’ensemble des citoyens, a été créé par 15MpaRato en utilisant des outils numériques tels que les plateformes de médias sociaux et les listes de diffusion. Ces plates-formes ont été créées pour que les citoyens puissent interagir et s’engager dans le mouvement. M. Levi a rappelé que pendant la campagne, Internet était le meilleur endroit pour collaborer : « Si nous voulions investiguer la responsabilité des d’une banque, nous allions sur Twitter et écrivions « Hé les gars, nous devons vérifier ce bilan. Qui sait faire ca? ». Si nous ne trouvions pas un certain article juridique, nous allions sur Internet et demandions : « Pouvez-vous nous aider ?  » De cette manière, des centaines de milliers de citoyens ont été mobilisés à différents stades de l’affaire, tant pour le financement participatif que pour la collecte de preuves.

L’outil XNet Leaks est le fruit de cette collaboration numérique. Il s’agissait d’un portail en ligne qui a permis aux citoyens de soumettre anonymement des preuves contre Bankia et a conduit à des découvertes telles que la fuite des courriels de Blesa. Maddalena Falzoni, la fondatrice de MaadiX, une plateforme gratuite d’outils sécurisés, était la technologiste derrière la création de XNet Leaks – basé sur Globaleaks – et d’autres outils numériques utilisé dans la campagne. Elle a déclaré : « En tant que groupe d’activistes, nous étions préoccupés par la vie privée et la sécurité des citoyens et nous avons donc décidé de mettre en place XNet Leaks, un canal libre et sécurisé pour la communication anonyme ».

15MpaRato a mis toutes les preuves relatives à l’affaire Bankia sur son site internet, afin de permettre aux autres victimes d’engager des poursuites séparées. Aujourd’hui encore, XNet Leaks continue d’être une plateforme où toute preuve de corruption peut être soumise et, si elle est crédible, reprise par 15MpaRato et XNet. Ceci est conforme à l’esprit de collaboration dont Falzoni a fait preuve en déclarant :

« La technologie doit être au service des défenseurs des droits humains et des personnes en général. Elle ne doit pas se transformer en une couche de complexité supplémentaire, en plus de tous les défis auxquels nous devons répondre ».

Ce mouvement historique a permis à 300 000 petits épargnants d’obtenir justice en tenant pour responsables les banquiers corrompus qui les ont escroqués, et en récupérant leur argent perdu. Ceci a  été rendu possible grâce à des partenariats solides entre des militants et d’innombrables citoyens qui se sont mobilisés pour lutter pour la transparence et la responsabilité. Le mouvement a également réaffirmé l’importance de maintenir l’autonomie de la société civile. Comme le dit Levi, qui résume l’essence du 15MpaRato, « Lorsque la société civile critique le pouvoir en place et que celui-ci répond je m’en fiche », il est très important pour la société civile de répondre « Alors nous allons vous montrer ».

Leçons tirées

L’issue de l’affaire Bankia a été rendue possible principalement grâce à la collaboration entre la communauté soudée que 15MpaRato a établie par le biais de campagnes et de mobilisation de masse des citoyens. L’affaire est également une leçon montrant que les obstacles peuvent être transformés en opportunités.

Même si la campagne a montré sa force en nombre, Levi a admis que dans des procès aussi longs que celui-ci, la collaboration progresse par étapes. Elle a déclaré : « Il est très important que vous sachiez que vous serez souvent seul. Vous ne rassemblerez des gens que pour un court bout de chemin. Ainsi, parfois, vous serez nombreux, mais la plupart du temps, vous serez très peu nombreux. Vous ne pouvez pas vous attendre à ce que les gens s’engagent aussi longtemps avec le même niveau de participation ». Malgré cela, l’équipe est très fière du fait que 12 des 20 membres qui ont lancé 15MpaRato continuent de travailler ensemble sur des campagnes similaires.

Une autre leçon que l’équipe a tirée à mi-parcours de la campagne est qu’il est beaucoup plus difficile de communiquer avec les citoyens et de leur dire que l’affaire en justice a été lancée et suivie par des citoyens ordinaires, que d’intenter effectivement une action en justice contre les banquiers. Les membres de 15MpaRato ont partiellement attribué cette difficulté au gouvernement et à la presse espagnole, qui, selon eux, galvanisés par l’objectif de conserver le pouvoir, ont essayé de décourager l’initiative des citoyens. Cela pourrait également être la raison pour laquelle les médias ont attribué le mérite de l’affaire Bankia aux partis politiques, aux journalistes et aux avocates. Cependant, comme l’a mentionné Levi, « Avant le lancement de la campagne, aucun parti politique n’était disposé à apporter son aide en proposant des solutions concrètes. Les médias n’étaient pas non plus intéressés à reconstruire le puzzle de cette escroquerie ». Il était donc très important pour l’équipe que le public sache que des citoyens ordinaires, acteurs non juridiques et non économiques, étaient derrière l’affaire.

Pour ce faire, XNet ayant écrit un livre et présenté une pièce de théâtre dans plusieurs villes d’Espagne, afin de raconter avec précision le déroulement des évènements qui ont conduit à l’escroquerie et de montrer comment des citoyens ordinaires d’Espagne ont construit cette incroyable victoire. Levi, également auteure et directeur de théâtre, a écrit et mis en scène la pièce, a déclaré : « Nous avons joué la pièce et écrit le livre pour partager le mérite avec tous les citoyens. C’était un élément important de 15MpaRato, pour prouver que pour créer une démocratie saine, le secteur public et les citoyens doivent collaborer et s’organiser ».

Le mouvement a également rencontré beaucoup de résistance de la part du ministère public. Bien que le procureur ait été tenu de poursuivre les banquiers, selon Levi, « il a considéré les plaignants comme des opposants au pouvoir en place et a pris sur lui de protéger les banquiers ». Elle se souvient : « Lorsque nous présentions des preuves, le premier à faire opposition n’était généralement pas la défense, c’était le procureur ». Chaque banquier poursuivi avait également une équipe juridique démesurée, dont la stratégie était d’épuiser le groupe interne de 15MpaRato en leur envoyant des centaines de pages de rapports chaque jour. C’est à ce moment là que l’équipe a misé sur la vaste communauté mobilisée, en sollicitant leur aide en ligne.

En outre, la presse n’a pas été un allié au début de l’affaire et a refusé de couvrir le cas Bankia. L’épouse de Rato était l’une des directrices de El País, un grand quotidien national espagnol. La presse grand public a souvent changé le récit de l’histoire, occultant le rôle prédominant des citoyens à la tête de ce mouvement. Cependant, avec la prise d’ampleur du mouvement dans le pays, et en particulier après la fuite du courrier électronique de Blesa, les choses ont été différentes.

Reprenant une réplique de la pièce mise en scène dans toute l’Espagne, « Voici l’histoire de la façon dont les élites gouvernementales ont pillé le pays. Mais c’est aussi l’histoire de citoyens qui se sont rassemblés et ont mis en lumière la vérité. Et celle de gens normaux, ordinaires qui, unissant leurs forces, apprenant et expliquant comment les choses se sont réellement passées, ont réussi à changerla fin habituelle de l’histoire ».

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