Étude de cas: Système de vérification de l’identité sur internet

Photo de : Nicolas Nova. CC BY-NC 2.0

Contexte

En août 2012, la Cour constitutionnelle sud-coréenne annule une règle tristement célèbre de vérification de l’identité sur Internet. Depuis cinq ans, cette règle imposait aux principaux opérateurs de site internet basés en Corée à collecter les informations d’identification des internautes postant sur leurs sites. Ce jugement constitue une importante victoire pour les défenseurs de la liberté d’expression.

Éléments clefs

Nom de l’affaire : Système de vérification de l’identité sur Internet

Tribunal : Cour constitutionnelle de Corée

Date de décision : 23 août 2012

Numéro de l’affaire : 2010Hun-Ma47, KCCR : 24-2(A) KCCR 590

Jugement : PDF

Sujet : réglementation relative à l’identité des utilisateurs en ligne

Les faits

En 2004, la Corée du Sud adopte le système de « nom réel » sur Internet dans un amendement du Public Official Election Act. Les sénateurs en fonction craignent que des discours en ligne non réglementés ne nuisent aux résultats des élections. Les utilisateurs doivent donc décliner leur identité en renseignant leur Resident Registration Number (RRN, un numéro d’identification national) pour pouvoir s’exprimer sur les sites internet liés aux élections. Chaque citoyen sud-coréen se voit attribuer un RRN unique composé de 13 chiffres à la naissance.

Puis, en 2007, les autorités de régulation étendent le système de « nom réel » à tout site Internet qui compte plus de 100 000 visiteurs quotidiens, conformément à l’article 44, paragraphe 5, de la loi sur la promotion de l’utilisation des réseaux d’information et de communication et sur la protection des informations. L’extension de cette mesure intervient après plusieurs suicides liés à des cas de harcèlement et de diffamation en ligne, qui ont suscité un élan en faveur d’une plus grande restriction de l’anonymat sur Internet. Les principaux opérateurs demandent désormais aux utilisateurs leur RRN avant de pouvoir s’inscrire et de publier des commentaires sur leur site. Les autorités espéraient alors contenir les effets négatifs de la désinformation par la possibilité de forcer les fournisseurs de services en ligne à divulguer les informations personnelles des auteurs présumés.

Rapidement, de nombreux défenseurs de la liberté d’expression et de la société civile dénoncent cette réglementation, arguant que l’interdiction de l’anonymat nuit aux discours licites en ligne, tels que des critiques du gouvernement. En janvier 2010, le centre juridique d’intérêt public du People’s Solidarity for Participatory Democracy (PSPD) et le Réseau progressiste coréen (Jinbonet) déposent des recours constitutionnels contre ce système de vérification d’identité.

Résultats

En août 2012, les juges de la Cour constitutionnelle coréenne votent à l’unanimité que la clause 5 de l’article 44 de la loi sur la promotion de l’utilisation des réseaux d’information et de communication et sur la protection de l’information viole la Constitution. La Cour déclare que la politique du « vrai nom » viole le droit des utilisateurs à la liberté d’expression, le droit d’un individu à déterminer son identité personnelle et le droit des fournisseurs de services en ligne à la liberté d’expression. Pour justifier pleinement les restrictions, la Cour déclare que les autorités devraient avoir démontré un intérêt public évident. Toutefois, les preuves présentées ne sont pas suffisantes pour démontrer une diminution des commentaires haineux, de la diffamation et des insultes sur Internet après l’introduction de la politique du « vrai nom ». Les fournisseurs de services en ligne disposaient également d’autres solutions pour traiter les messages malveillants et les autorités pouvaient suivre les internautes grâce à leurs adresses IP. En outre, la réglementation éloigne les utilisateurs qui se tournent désormais vers des plateformes de services en ligne étrangères.

Dans son verdict, le tribunal déclare : « La restriction de la liberté d’expression ne peut être justifiée que lorsqu’elle profite clairement à l’intérêt public ». « Il est difficile de dire que cette réglementation sert l’intérêt public. »

Collaboration

Selon Byoung-il Oh, membre de Jinbonet, la longue histoire derrière le mouvement de réforme en Corée du Sud commence en 1996, lorsque le gouvernement introduit une carte d’identité électronique qui intègre des informations personnelles, y compris le RRN. Beaucoup considèrent cette nouvelle carte d’identité électronique comme une mesure de contrôle de l’État qui viole le droit à la vie privée des citoyens. De nombreuses organisations de la société civile, experts et activistes dénoncent ce système. En 1998, beaucoup d’entre elles s’associent et fondent Jinbonet, une organisation à but non lucratif qui se consacre à la défense des droits humains sur Internet et fournit également un service Internet à d’autres groupes de mouvements sociaux sous la forme d’un fournisseur d’accès Internet alternatif en Corée du Sud.

Depuis lors, ce mouvement reste une pièce essentielle du travail de l’organisation. Dès 2002, des activistes se réunissent lors de conférences et d’ateliers pour débattre de la proposition d’une identification nationale, et les citoyens réclament la possibilité de changer de RRN. En 2005, des militants et des experts d’organisations de défense des droits humains, dont Jinbonet, collaborent pour mener une enquête sur la réglementation en vigueur et sur les formulaires du secteur privé qui requièrent un RRN. Celle-ci révèle l’ampleur de la collecte de numéros d’identification. En 2006, des journalistes révèlent un vol massif d’informations personnelles suite à une collecte préventive de RRN, de quoi alimenter davantage les appels à une révision du système.

Ces conversations initiales posent les bases d’une future collaboration. Selon Byoung-il Oh, l’incidence du système d’identification par RRN sur un large éventail de questions a rassemblé diverses organisations à différents moments. Jinbonet elle-même a réuni des universitaires pour discuter de l’impact juridique du système RRN.

« Nous avons coordonné et contacté des experts et d’autres organisations avec un plan et un objectif », déclare Byoung-il Oh.

En 2012, Jinbonet lance une campagne de sensibilisation intitulée « Un monde sans numéro de résident ». Elle s’associe à d’autres ONG pour organiser des débats publics, tenir des conférences de presse, publier des communiqués et faire pression sur l’Assemblée nationale pour qu’elle modifie la loi en question. Jinbonet contacte également des organisations de défense des droits des femmes et des groupes de défense des minorités sexuelles pour faire valoir que les informations personnelles liées au genre contenues dans le RRN pourraient entraîner une discrimination.

Pour préparer la plainte, l’équipe juridique de Jinbonet sollicite l’aide de professeurs de droit pour expliquer en quoi le système de RRN actuel est inconstitutionnel. Cette expertise s’avère nécessaire car Jinbonet ne comptait pas d’avocat avant que Hoonmin Shin ne rejoigne l’équipe à plein temps.

Leçons tirées

Dans l’ensemble, les avocates et les organisations militantes ont développé une solide collaboration. Comme Jinbonet figurait parmi les premières organisations à se concentrer uniquement sur les questions de droits humains dans le domaine des technologies de communication sur Internet, elle a joué un rôle central dans la coordination des différents acteurs.  L’équipe comprend des militants qui travaillent sur les problématiques liées aux RRN depuis la fin des années 1990 et possèdent ainsi une longue expérience et une grande expertise.

Tout au long de l’affaire, les avocats ont réalisé différentes tâches selon les besoins : vérification et analyse de données tirées d’un sondage, rédaction des dossiers pour l’affaire ou encore élaboration de la stratégie de communication avec les militants. Les entretiens avec l’équipe indiquent que les membres se montrent souvent reconnaissants du travail des organisations partenaires et des autres membres. Bien que les avocats de Jinbonet aient gagné devant les tribunaux, ils continuent à mener un travail de sensibilisation et à réunir divers intervenants. Ils ont récemment organisé une conférence pour discuter de la révision de l’utilisation des informations personnelles pour obtenir des RRN. Un membre de l’équipe de Jinbonet se consacre à répondre aux questions relatives aux RRN au fur et à mesure qu’elles se posent, et à contacter d’autres organisations et experts pour organiser des réunions, élaborer des stratégies de réponse et répartir les rôles.

Les retombées de l’affaire ont eu un impact à long terme. Depuis la victoire au tribunal, des avocats influents de l’organisation sociale Minbyun, admiratifs de la coopération de l’équipe de Jinbonet, ont rejoint les actions en justice suivantes. Ensemble, les organisations ont déposé un recours constitutionnel le 9 juin 2014 et un recours administratif le 7 mai 2014. L’affaire remporte un succès triomphal : en décembre 2015, la Cour constitutionnelle décide qu’une loi sur l’enregistrement des résidents refusant aux citoyens le droit de changer leur numéro est inconstitutionnelle.

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